Les cinéphiles nostalgiques devront s’armer de patience en ce mois de mai 2023. En effet, alors que ce dernier dispose de cinq mercredis et donc d’autant d’occasions pour célébrer le cinéma d’hier et d’avant-hier, les vaillants distributeurs français de films de patrimoine ont complètement fait l’impasse sur la journée de sorties de demain. Pour vous consoler et vous occuper en attendant, il faudra éplucher en détail le programme de Cannes Classics, qui ne devrait pas tarder à tomber. Et puis, une fois que les affaires auront repris dès mercredi prochain, vous aurez tout de même le choix entre une quinzaine de films, dont la plupart sortiront le 10 et le 17 mai, en amont de la frénésie festivalière sur la Croisette.
Le programme des reprises du mois est surtout rythmé par deux rétrospectives partielles, en trois films de Louis Malle chez Malavida Films et en quatre de Shinya Tsukamoto chez Carlotta Films, par un cycle informel autour du couple mythique du cinéma italien formé par l’actrice Giulietta Masina et le réalisateur Federico Fellini, ainsi que par des films signés Bernardo Bertolucci, Roland Joffé, Marco Ferreri, Masahiro Shinoda et David Lynch. Bref, même si le nombre de films proposés à nouveau en salles reste raisonnable, l’éclectisme des pays d’origine et des époques ravira certainement les amateurs de spectacles sur grand écran, peu importe leur année de production !
Louis Malle Gentleman provocateur 2ème partie
Quand le distributeur Malavida Films ne nous fait pas découvrir de splendides œuvres du cinéma d’Europe de l’est, quasiment inconnues en France, il s’emploie à rendre hommage de manière exhaustive au réalisateur français Louis Malle (1932-1995). Conçue en étroite collaboration avec la Gaumont, cette rétrospective de longue durée en est désormais à sa troisième incarnation, après le premier cycle en six films, de L’Ascenseur pour l’échafaud au Souffle au cœur, en novembre dernier, suivi du documentaire-fleuve L’Inde fantôme début février. Les festivités devraient se terminer à la rentrée avec quatre films anglophones du réalisateur : Black Moon, Atlantic City – Lion d’or au Festival de Venise en 1980 –, My Dinner with André et Vanya 42ème rue.
A l’affiche dès le 10 mai, les trois films supplémentaires avec lesquels se poursuivra la rétrospective constituent sans doute la part de maturité suprême de la filmographie de Louis Malle. Notre admiration pour Au revoir les enfants – Lion d’or au Festival de Venise en 1987 et César du Meilleur Film l’année suivante – et Milou en mai est en effet sans limite, tant ils englobent, chacun à sa façon, la part sombre et lumineuse de la nature humaine, prise dans le tourbillon d’événements historiques exceptionnels. Quant à Lacombe Lucien, il appartient à ces histoires sur la Résistance qui ont su nuancer les enjeux contradictoires auxquels les hommes et les femmes ayant vécu au moment de la Seconde Guerre mondiale devaient faire face.
Vus sous cet angle-là, ces films auraient aisément pu devenir des épopées historiques édifiantes. Grâce au travail sophistiqué de Louis Malle, à la fois l’élégance en personne et animé par un esprit iconoclaste hors pair, ils figurent parmi ce que le cinéma français a fait de plus vif et incisif dans les années 1970 et ’80.
Shinya Tsukamoto en 4 films
En France, la découverte au cinéma des films du réalisateur japonais Shinya Tsukamoto (* 1960) n’a eu lieu que lors d’une brève parenthèse au début des années 2000. A ce moment-là, Bullet Ballet, Gemini et Tokyo Fist étaient sortis dans le désordre chronologique le plus total. Depuis, c’est plutôt l’activité d’acteur de Tsukamoto qui l’a rappelé au souvenir des spectateurs français, par le biais de ses apparitions plus ou moins anecdotiques dans les films de Takashi Shimizu (Marebito) et Martin Scorsese (Silence). Il était donc grand temps qu’un distributeur s’intéresse de plus près à ce cinéaste en marge du cinéma nippon, amateur de la transgression et à l’origine du mouvement cyberpunk au Japon. Ce sera chose faite à partir du 17 mai, jour où Carlotta Films ressortira quatre de ses films les plus emblématiques.
Malheureusement, cet élan de redécouverte devra se prolonger du côté de la vidéo, puisque dix films de Shinya Tsukamoto seront édités en blu-ray la veille. Contrairement à ce que le distributeur ait fait lors de la rétrospective récente du réalisateur philippin Mike De Leon en officiellement deux films, à compléter à la demande par les six autres titres édités en vidéo, celle de son confrère japonais ne sera conjuguée qu’en quatre films. Quoique pas des moindres, puisque les amateurs d’un cinéma nerveux et radical pourront voir Tetsuo et sa suite Tetsuo II Body Hammer, ainsi que le conte de boxe expérimental Tokyo Fist et le drame social ultra-violent Bullet Ballet. Autant de films inclassables ayant depuis fait des émules du côté de Quentin Tarantino, Darren Aronofsky et Gaspar Noé.
Giulietta Masina et Federico Fellini : per sempre insieme
La dernière rétrospective d’envergure des films du réalisateur italien Federico Fellini (1920-1993) remonte à plus de dix ans. Ses films ressortent certes à intervalles réguliers, comme Le Cheik blanc, Les Vitelloni et Les Nuits de Cabiria en 2020. Mais il manque à ce jour un grand cycle susceptible de regrouper l’ensemble de ses nombreux chefs-d’œuvre, de La strada à Ginger et Fred, en passant par La dolce vita, Huit et demi et Amarcord. Hélas, ce ne sera pas non plus pour ce mois-ci, même si deux distributeurs inlassables se sont associés de façon informelle pour rendre hommage le 17 mai au cinéaste et à sa muse, son actrice attitrée et épouse Giulietta Masina (1921-1994). Mariés pendant exactement un demi-siècle, puisque Fellini était mort d’une crise cardiaque le lendemain de leurs noces d’or, ils avaient collaboré à de nombreuses reprises.
Tamasa Distribution et Les Acacias vous ressortent leurs débuts communs devant et derrière la caméra en trois films. Curieusement, c’est le plus récent parmi eux, Fortunella, qui n’a pas été réalisé par Fellini, responsable du scénario, mais par Eduardo De Filippo. Cette comédie sociale est surtout connue pour le thème musical que le compositeur Nino Rota avait employé à nouveau près de vingt-cinq ans plus tard pour Le Parrain de Francis Ford Coppola. Dans les deux autres films, La Strada – dans une restauration inédite en 4K, cinq ans après sa dernière ressortie – et Il bidone, ce sont encore les personnages masculins interprétés respectivement par Anthony Quinn et Broderick Crawford qui donnent le ton, avant que Giulietta Masina ne devienne une héroïne à part entière de l’univers de son mari dans Les Nuits de Cabiria et Juliette des esprits.
Une Palme d’or, un Oscar du Meilleur Film, un film à scandale et d’autres curiosités
Enfin, les cinq autres films de retour en salles d’ici la fin du mois ne doivent pas non plus rougir en termes de prestige ou de cachet exotique. Du deuxième au quatrième mercredi, vous pourriez revoir d’abord chez Metropolitan la grande épopée historique de Bernardo Bertolucci Le Dernier empereur, lauréat de neuf Oscars et du César du Meilleur Film étranger en 1988. Puis, la semaine suivante, ambiance cannoise oblige, le gagnant de la Palme d’or plutôt controversée en 1986 du jury présidé alors par le réalisateur américain Sydney Pollack Mission de Roland Joffé chez Mary X Distribution. Suivi par le versant sulfureux du festival français majeur avec La Grande bouffe de Marco Ferreri chez Tamasa Distribution le 24 mai, qui avait soulevé l’indignation générale lors de la 26ème édition, sans trouver les faveurs du jury sous la présidence de l’actrice suédoise Ingrid Bergman auquel appartenait également … Sydney Pollack.
Ce mois de mai se terminera en beauté le 31, grâce au film de yakuzas Fleur pâle de Masahiro Shinoda, un réalisateur auquel Carlotta Films consacre un travail de redécouverte de longue haleine puisque le distributeur ressort tous les deux ans l’un de ses films. C’était Silence – l’original – à l’été 2019, suivi de L’Étang du démon en septembre 2021.
Le public contemporain est infiniment plus familier de la filmographie de David Lynch, dont pas moins de quatre films étaient ressortis depuis le début de la décennie : Blue Velvet, Elephant Man, Mulholland Drive et Lost Highway. Puisqu’il est peu probable qu’on revoie un jour un nouveau film de ce cinéaste mythique, à présent essentiellement investi du côté des productions pour le petit écran et des courts-métrages expérimentaux, on ne peut que se réjouir de la ressortie chez Potemkine de son dernier long-métrage de fiction Inland Empire avec Laura Dern, présenté au Festival de Venise en 2006.