100. Sexe, mensonges et vidéos de Steven Soderbergh (États-Unis, 1989) avec James Spader, Andie McDowell
Plus jeune lauréat de la Palme d’or avec Louis Malle, Soderbergh réalise avec Sexe, mensonges et vidéos sont tout premier long-métrage de fiction. Dans ce film dont le titre a valeur de programme, le réalisateur raconte les conséquences de l’arrivée de Graham (James Spader) dans la vie bien rangée du couple formé par son vieil ami John (Peter Gallagher) et sa femme Ann (Andie MacDowell). Ce n’est pas un hasard si le film clôt à la fois notre classement et la décennie. Synthèse du cinéma intime et physique de Cassavetes et du style choral et satirique d’Altman, son irruption dans le paysage du cinéma indépendant américain annonce l’imminente émergence de jeunes talents dont la plupart feront les grandes heures de Cannes dans les années 1990 : les frères Coen, Quentin Tarantino, Richard Linklater, James Gray… B.D
99. Recherche Susan désespérément de Susan Seidelman (États-Unis, 1985) avec Rosanna Arquette, Madonna
La quintessence du cool new-yorkais 80. Une réalisatrice issue de l’underground (son premier film documentait la scène punk de NYC). Une jeune actrice à la mode (Rosanna Arquette) face à la plus grande pop star planétaire au démarrage de sa carrière (Madonna, encore dans son look croix en pendentif et bas résille troués). Un imaginaire de cinéphilie européenne (grosses références au Rivette de Céline et Julie…) projeté dans un format de comédie indie décontractée. Un tube composé pour l’occasion ( “Get into the groove/Boy you’ve got to prove/your love to me, yeah!”). La sensation branchée d’une saison. Mais aussi un charme absolument inusable. J.-M.L
98. Le Tombeau des Lucioles, Isao Takahata (Japon, 1988)
Le cousin secret d’Akira ,– en dixième place de ce classement –, sorti la même année et destiné lui aussi à exorciser quarante ans après, le douloureux souvenir des bombes américaines (ici celles de Kobe). Avec son regard hugolien sur la misère et son réalisme forcené, Le Tombeau des Lucioles fait figure d’exception dans le répertoire féérique du studio Ghibli. Il en est pourtant la racine : l’imagination débordante de Miyazaki et Takahata ne cessera de recracher des bombes tombant du ciel, des abris secrets et des petites filles malades à protéger. T.R
97. Micki et Maude de Blake Edwards (États-Unis, 1984). Avec Dudley Moore, Ann Reinking, Amy Irving
L’histoire d’un journaliste qui se retrouve bigame lorsque son épouse et sa maîtresse se retrouvent enceinte au même moment… Lâche, il n’ose rien leur dire. Ils finissent en trouple. Film méconnu de Blake Edwards, un petit bijou de provocation où souffle l’humour et la liberté. J.-B.M
96. Lianna de John Sayles (États-Unis, 1983). Avec Linda Griffiths, Jane Hallaren
Une histoire d’amour lesbien filmé par l’un des cinéastes américains les plus injustement méconnus en France, John Saylves, récemment honoré à la Cinémathèque Française. Le portrait d’une émancipation féminine d’une grande subtilité qui déjà en 1983 donnait un aperçu fulgurant d’un possible female gaze. M.D
95. L’Empire contre-attaque d’Irvin Kershner (États-Unis, 1980). Avec Mark Hamill, Carrie Fisher, Harrison Ford
L’épisode 5 le plus célèbre de la saga Star Wars (le deuxième dans l’ordre de tournage). Ici, Luke Skywalker découvre de la bouche de la créature la plus détestée et crainte de l’univers, Dark Vador, qui est son père. Shakespearien et freudien en diable. J.-B.M
94. Peaux de vaches de Patricia Mazuy (France, 1989). Avec Jean-François Stévenin, Sandrine Bonnaire, Jacques Spiesser
En 1989, Patricia Mazuy réalise Peaux de vaches, un premier long métrage qui s’accorde à merveille aux riffs crasseux des guitares qui l’accompagnent. Drame rural, western paysan, triangle amoureux, Peaux de Vaches est un film rugueux qui ne cesse de changer de route, passe du malaise à l’étreinte et bifurque, comme Jean-François Stévenin, sublime, sur la naissance d’un amour. M.D
93.
92. La mort d’Empédocle (ou Quand le vert de la terre brillera à nouveau pour vous) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (France, Allemagne, 1987). Avec Andreas von Rauch, Vladimir Baratta, Martina Baratta
Critiqué pour sa conduite trop libre, le philosophe et législateur Empédocle est banni d’Agrigente. Le peuple le supplie de revenir, mais Empédocle préfère se jeter dans l’Etna pour se confondre avec la nature. Dans cette adaptation très sobre qui met en avant la musique du texte d’Hölderlin, Huillet et Straub nous hypnotisent. J.-B.M
91. Double messieurs de Jean-François Stévenin (France, 1986). Avec Jean-François Stévenin, Yves Afonso, Carole Bouquet
Le cinéma de Stévenin, disparu en juillet 2021, à son point d’incandescence dans la modernité. Deux amis d’enfance, d’âge mûr, partent à la recherche du troisième de la bande dans un bel enthousiasme et un retour de flamme. Ils rencontrent l’épouse de celui-ci (Carole Laure), une femme froide et hautaine qui va calmer leurs ardeurs adolescentes. L’âge, Cassavetes, l‘amitié masculine et infantile, l’errance, la suspension du temps. Magnifique. Signalons que Jean-François Stévenin est l’acteur le plus représenté dans ce top 100 avec 6 films dans lesquels il joue (dont un qu’il a réalisé). J.-B.M
90. Crimes et délits de Woody Allen (États-Unis, 1989) avec Anjelica Huston, Woody Allen
lL’un des films les plus graves de Woody Allen. Il y traite déjà de thèmes récurrents dans son œuvre : l’injustice sociale (pourquoi n’y a-t-il pas forcément adéquation entre le talent et la réussite ?), et le crime impuni (Match Point). Allen métaphorise le sujet en créant un personnage de rabbin en train de devenir aveugle, symbole évident de la cécité de Dieu et de son impuissance totale… J.-B.M
89. Yeelen de Souleymane Cissé (Mali, 1987) avec Issiaka Kane, Aoua Sangare
C’est une histoire de transmission et de sorcellerie. Traqué par son père qui ne supporte pas l’usage qu’il fait du savoir qu’il lui a transmis, un jeune homme traverse le Mali, la mort aux trousses, mais la lumière (Yeelen) et l’amour au bout du voyage. La majesté de la mise en scène, la splendeur de l’image, la grâce juvénile des comédien·nes font de ce conte initiatique un enchantement. J.-M.L
88. Les Enfants de Marguerite Duras (France, 1984) avec Pierre Arditi, André Dussollier, Axel Bogousslavsky
Ernesto était le personnage d’Ah Ernesto !, un conte pour enfants écrit par Marguerite Duras. Les Huillet-Straub l’avaient adapté dans le magnifique En râchachant, leur film le plus drôle. Ici, Ernesto a sept ans mais il est interprété par un acteur de trente ans, le merveilleux et étrange Axel Bogousslavsky. Il refuse d’aller à l’école, où on veut lui apprendre ce qu’il ne sait pas… C’est l’un des films les plus réjouissants et surprenants de l’immense Duras. J.-B.M
87. Rusty James de Francis Ford Coppola (États-Unis, 1983) avec Matt Dillon, Mickey Rourke
Rincé par l’échec de sa pharaonique romcom expérimentale et high-tech Coup de cœur (1982), obligé de vendre ses studios, Coppola tâche de se refaire avec deux teen movies gorgés de poster boys plein d’avenir (Tom Cruise, Patrick Swayze, Mickey Rourke…). Si le nostalgique Outsiders (1983) performe au box-office, le torturé Rusty James n’obtient qu’une audience confidentielle. Dans un noir et blanc fortement contrasté, Matt Dillon, beau comme un chat écorché, lutte pour imposer sa street credibility face à un clan rival et se bat avec le fantôme d’un grand frère de légende (Mickey Rourke, au plus charismatique de lui-même). Un bro drama aussi strident émotionnellement que du Nicholas Ray. J.-M.L
86. Gloria de John Cassavetes (États-Unis, 1980). Avec Gena Rowlands, John Adames, Julie Carmen
Avec Gloria, lion d’or à Venise en 1981, John Cassavetes réalise un polar urbain à vives pulsations dans un New York labyrinthique et accouche de son plus grand succès public. Une œuvre pourtant mal aimée de son auteur. Dans ce récit de fuite effrénée, Gena Rowlands, call-girl forcée de jouer à la mère adoptive, toute en furie et pugnacité, est au sommet. Un des deux Cassavetes figurant dans ce classement. M.D
85. Cruising de William Friedkin (USA, 1980) avec Al Pacino, Paul Sorvino, Karen Allen
On connaît surtout Al Pacino dans ses rôles grandiloquents de “big shot” (gros bonnet dans Le Parrain et Scarface). Mais ce que prolonge le film de Friedkin est plutôt sa face discrète et anticonformiste entrevue dans le rôle du flic hippie du Serpico de Sidney Lumet (1973). Ici, il incarne un flic hétéro qui infiltre le milieu des soirées gay sadomasochistes de San Francisco afin d’y démasquer un tueur en série. À l’époque accusé avant même sa sortie de stigmatiser la communauté gay, Cruising est au contraire un film qui représente un pan de la culture gay sans l’inféoder au regard normatif hétérosexuel. Il s’agit d’une des deux apparitions de Friedkin dans ce classement, avec Police fédérale Los Angeles, classé sensiblement plus haut, autre polar crépusculaire sorti cinq ans plus tard. B.D
84. Mala Noche de Gus Van Sant (États-Unis, 1986). Avec Tim Streeter, Doug Cooeyate, Ray Monge
Premier long métrage, et première splendeur de Gus Van Sant : l’histoire d’amour, bouleversante et à sens unique, d’un jeune Américain et d’un immigré clandestin. Beaucoup de choses sont déjà là : Portland, ce mélange de marginaux et d’artistes, de sexualité et de politique, le manège sentimental, tantôt touchant tantôt cruel, de solitudes qui s’aspirent, et qui constitueront dès lors, les balises du cinéma van santien, et les ferments de Drugstore Cowboy et My Own Private Idaho. D’autres choses disparaîtront, comme ce noir et blanc sépulcral qui confère à cette “mauvaise nuit” une dimension lointainement expressionniste. L.M
83. Kagemusha d’Akira Kurosawa (Japon, 1980) avec Tatsuya Nakadai
Avec le temps, il semble que Ran, sorti cinq années après Kagemusha, soit définitivement passé derrière ce film qui permit à Kurosawa d’obtenir la Palme d’or qui manquait à son palmarès. Mettant en abyme le rapport ontologique que l’art entretient avec la mort, il raconte la façon dont une figure de mendiant se retrouve contrainte à remplacer un monarque décédé à qui il ressemble comme deux gouttes d’eau. Quatrième et avant-dernier film japonais de ce top, Kagemusha est, avec Furyo, le seul en prises de vues réelles. B.D
76. Abyss de James Cameron (États-Unis, 1989). Avec Ed Harris, Mary Elizabeth Mastrantonio
Claustrophobie, noyade, ténèbres et accidents de dépressurisation : le menu des films de sous-marin n’est pas le plus clément pour les nerfs. Mais si Abyss fait exception (toutes proportions gardées – le film a de l’angoisse sous la pédale et notamment une des plus grandes scènes de noyade qui soit), c’est peut-être parce que son réalisateur s’y abandonne (et nous livre) moins à ses peurs qu’à son émerveillement d’enfant pour les fonds marins, pays des rêves et bain primal des origines. Un voyage cosmique à portée de bathyscaphe et un des deux Cameron de ce top 100. T.R
77. Elephant d’Alan Clarke (Royaume-Uni, 1989). Avec Gary Walker, Bill Hamilton
À Belfast, des hommes, filmés de dos, arpentent des couloirs, des gymnases et des parkings, avant d’exécuter froidement, sans explication ni autre forme de procès, des victimes dont on ignore tout. La radicalité du moyen métrage d’Alan Clarke (qui mourra moins d’un an après sa première diffusion sur BBC Two), où l’on assiste à 18 mises à mort cliniques et mutiques, s’assortit d’un titre en point d’interrogation, Elephant, que Gus Van Sant reprendra en 2003 pour le chef-d’œuvre dédaléen que l’on connaît sur la tuerie de Columbine. Perle noire du cinéma britannique, l’Elephant d’Alan Clarke donne à voir par son procédé radical, la violence sans phare ni passion, qui a agité l’Irlande du Nord pendant près de 30 ans. L.M
78. Passion de Jean-Luc Godard (France, 1982) avec Isabelle Huppert, Michel Piccoli, Hanna Schygulla
Un cinéaste polonais tourne un film sur la peinture. Une ouvrière se fait licencier par un patron d’usine qui ne tolère pas ses appétences syndicales. La création et le travail. Le tournage interrompu et l’usine en grève. Et de l’un à l’autre, l’art poétique de Godard à son plus haut régime de fragmentation. Le deuxième film du cinéaste de ce classement, avec Sauve qui peut (la vie), classé beaucoup beaucoup plus haut. J.-M.L
79. Do The Right Thing, Spike Lee (États-Unis, 1989). Avec Danny Aiello, Spike Lee, John Turturro
C’est presque un genre en soi (on pourrait citer Un après-midi de chien de Lumet, mais aussi Les Misérables, qui est quasiment un remake du Spike Lee) : le film de canicule urbaine, avec ses silences empesés, ses rues immobiles, son air irrespirable, comme liquide, et surtout ses personnages écrasés par le mercure dont la migraine ne pourra que s’embraser en violence. Décor idéal pour un implacable exposé sur l’explosion des secrètes tensions inter-communautaires d’un quartier de Brooklyn, par le premier des grands cinéastes afro-américains. T.R
80. Akira, Katsuhiro Otomo (Japon, 1988)
Un âge d’or cyberpunk s’écrit dans les années 1980 et ce des deux côtés du Pacifique (Blade Runner, Total Recall, Ghost in the Shell, RoboCop…). Au sein de cette vague SF qu’il porte d’une certaine manière à son point de fusion, Akira est l’enfant-prophète de la fin des temps, la rencontre du nucléaire et du religieux dans un Neo-Tokyo hanté par le spectre atomique. En dehors du studio Ghibli, le plus grand chef-d’œuvre de l’animation japonaise, venu à la fois expurger les traumatismes du XXe siècle et préparer ceux du suivant. T.R
81. Furyo de Nagisa Oshima (Japon, 1983) avec Ryūichi Sakamoto, David Bowie, Takeshi Kitano
La rencontre abrasive du Pont de la rivière Kwaï et de Mort à Venise, orchestrée par le réalisateur de L’Empire des sens. Dans un camp de prisonniers sur l’île de Java, un officier japonais se consume de désir pour la crinière blonde de son prisonnier anglais. Un conte opaque inondé de lumière sur la réversibilité des mécanismes de domination, où le pouvoir est rongé par l’obsession érotique. Un des deux films avec David Bowie de ce classement, qui lorsque le film sort, est numéro 1 des ventes de disques dans tous les pays du monde avec Let’s Dance. J.-M.L
82. The Killer de John Woo (Hong-Kong, 1989) avec Chow Yun-Fat
Dans la foulée des succès colossaux des deux Le Syndicat du crime, John Woo, wonderboy esthète du nouveau cinéma d’action hongkongais, se lance dans un film plus sombre, violent et mélodramatique. On y suit les périgrinations d’un tueur solitaire, traqué à la fois par la police et ses anciens employeurs, follement épris d’une jeune femme aveugle. Des combattants qui se toisent en plein gunfight, chacun un flingue braqué sur la tempe de l’autre, des corps criblés de balles qui s’élèvent frénétiquement dans les airs par la force des impacts, des tueurs en lunettes noires : de Tarantino à Rodriguez, le cinéma américain des années 1990 ne s’en remettra pas. J.-M.L