Cyberpunk – Histoire(s) d’un futur imminent
France : 2020
Auteurs : Jean Zeid, Stéphanie Chaptal, Sylvain Nawrocki
Genre : Beau-Livre, Science-Fiction
Éditeur : Ynnis Éditions
Format : 240 x 270 mm
Nombre de pages : 208
Date de sortie : 25 novembre 2020
La science-fiction atteint ses sommets quand elle nous met en garde, et tente de prédire l’impact futur des dérives de notre présent. Nous sommes à la fin des années 70, notre monde est en ébullition, les outils informatiques commencent à être accessibles et le cyberpunk voit le jour. Un genre littéraire qui aurait pu être éphémère, attendant que la réalité ne le rattrape. Pourtant, sans cesse réinventé, il rend compte depuis lors des angoisses et des attentes de ses contemporains quant à l’évolution technologique, le totalitarisme, et la place de l’humain dans la société…
Cyberpunk et technologie
Sous-genre de la science-fiction né au début des années 80, le Cyberpunk nous donné à voir un futur dystopique high-tech où la frontière entre réalité virtuelle et réalité physique est floue. Le genre a tout d’abord émergé en tant que mouvement littéraire, grâce à des auteurs tels que William Gibson, Bruce Sterling ou Neal Stephenson, dont la volonté était de remettre au goût du jour les éléments les plus caractéristiques de la SF, en les éclairant de toutes les désillusions – tout autant sociales que simplement morales – de la fin des 70’s vis à vis du capitalisme.
Cyborgs, androïdes, modifications corporelles cybernétiques, écrans dans tous les coins, technologies de pointe, fascination pour l’underground, omniprésence des ordinateurs et d’Internet, surveillance globale, hacking et piratage, planète en danger, opposition cyberespace / réalité… En général, les évolutions technologiques imaginées et mises en scène par les œuvres appartenant au genre Cyberpunk ne vont pas tellement dans le sens d’une amélioration de la qualité de vie des humains. En fait, c’est même carrément le contraire : le Cyberpunk souligne les dérives et les dangers d’une société de plus en plus dominée par la technologie. Cybercriminalité, surveillance de masse, Intelligence Artificielle, biotechnologie… La montée des technologies représente-t-elle une menace ou un espoir ?
Personnages et univers
Contrairement à une croyance répandue, les personnages Cyberpunk ne sont pas pour autant tous des androïdes ou des hackers. Cependant, il s’agit souvent d’anti-héros, cultivant une défiance vis à vis de la notion d’autorité. Subversifs, chacun à leur manière, ils luttent contre les inégalités et les dérives du pouvoir, désobéissant aux ordres dans le but de faire ce qu’ils pensent être « juste ». Les protagonistes de ces récits adoptent d’ailleurs parfois un style et une attitude comparable aux héros du Film Noir américain des années 40/50, impression renforcée par une atmosphère urbaine ornée de néons, de costumes futuristes et de voitures volantes.
L’environnement froid et brutal du Cyberpunk met par ailleurs en évidence l’une des thématiques-clés du genre, qui consiste à permettre aux parias et aux opprimés de lutter contre leurs oppresseurs, en détournant la technologie que les dirigeants ont utilisé pour atteindre et instaurer leur domination. Il s’agit en effet d’une caractéristique intéressante des intrigues attachées au mouvement Cyberpunk : celles-ci se déroulent le plus souvent dans des sociétés instables, au bord de la révolution. Ainsi, contrairement aux œuvres de science-fiction purement dystopiques où la société est écrasée sous l’autorité d’une grande puissance tyrannique, le Cyberpunk met en général en scène des mondes dans lesquels les gouvernements ont été remplacés par des conglomérats puissants ou des multinationales profitant des classes inférieures de la société. Cependant, l’ordre sociétal de ces récits Cyberpunk est souvent sur le point de connaître de grands bouleversements…
Autant dire donc que le Cyberpunk est capable de nous délivrer tout à la fois leçons et avertissements à travers d’impressionnantes visions d’un futur techno-dystopique. Qu’il s’agisse de littérature, d’œuvres « live » ou de cinéma d’animation, de jeux vidéo ou de jeux de rôle, le succès – jamais démenti depuis 40 ans – du Cyberpunk nous confirme aujourd’hui plus que jamais l’affirmation de l’auteur William Gibson selon laquelle « le futur est déjà là – il n’est simplement pas réparti équitablement ».
Premier beau livre dédié au genre
Disponible le 25 novembre chez Ynnis Éditions, Cyberpunk : Histoire(s) d’un futur imminent n’est certes pas le premier ouvrage en français consacré au genre, mais Stéphanie Chaptal, Jean Zeid et Sylvain Nawrocki signent ici sans aucun doute le plus complet, le plus abordable et le plus intéressant d’entre eux. Pour ne rien gâcher, il s’agit du premier « Beau Livre » dédié à ce phénomène culturel, rempli d’images, d’illustrations et de photos magnifiques au fil de ses 208 pages.
Mais Cyberpunk : Histoire(s) d’un futur imminent n’en est pas pour autant un ouvrage superficiel, ou un simple livre d’images : il s’impose d’avantage comme un passionnant « guide » destiné aussi bien aux passionnés qu’aux néophytes ou débutants dans le genre. En effet, après une présentation et une chronologie des précurseurs, des œuvres phares et des personnalités les plus importantes dans la naissance du Cyberpunk, Cyberpunk : Histoire(s) d’un futur imminent sera divisé en plusieurs chapitres dédiés à la présentation, succincte mais reprenant les points les plus essentiels de plusieurs œuvres importantes appartenant au genre.
Guide, choix, orientations
Dans le chapitre « Le Cyberpunk à l’écrit » (52 pages), après un entretien avec Laurent Queyssi – auteur, scénariste et surtout traducteur des romans de William Gibson en France – les auteurs de Cyberpunk : Histoire(s) d’un futur imminent aborderont une trentaine de livres et bandes dessinées s’imposant comme autant de classiques, de Neuromancien (Gibson) à L’incal (Moebius / Jodorowski) en passant par Le samouraï virtuel (Stephenson) ou Akira (Otomo)… Plusieurs œuvres majeures du Vingtième Siècle sont ainsi traitées, et leur importance vis à vis du genre est largement mise dans la balance. Ce chapitre contient également un entretien avec Richard Morgan, auteur de Carbone modifié, ainsi qu’avec Sabrina Calvo, écrivaine de SF et conceptrice de jeux.
Le chapitre suivant, « Le Cyberpunk à la TV » (16 pages), reviendra comme son titre l’indique sur une quinzaine de séries TV, live et animées, allant de Aeon Flux à Dollhouse en passant par Black mirror. Si bien sûr les analyses proposées pour chacun des shows sont tout à fait pertinentes, on pourra s’étonner du peu de place accordée à une série telle que Westworld, et surtout, on déplorera l’absence de Mr. Robot. Les auteurs s’en défendent d’ailleurs en début d’ouvrage (page 22), précisant que la série n’est pas Cyberpunk car elle se déroule dans le présent. Mais dans quelle réalité exactement ? On vous pose la question…
Le cas Mr. Robot
Si on pose la question de la réalité dans laquelle se déroule Mr. Robot, c’est parce que même si la série créée par Sam Esmail ne met pas en scène des punks aux cheveux violets et en blouson de cuir dans un univers de SF, la lecture de Cyberpunk : Histoire(s) d’un futur imminent nous confirme à longueur de pages que le genre ne se limite pas aux apparences. Cependant, dans ses thématiques, ses motifs ainsi que les motivations des différents personnages, il semble clair pour nous que Mr. Robot fait clairement dans le Cyberpunk. Dès le premier épisode de la série, la multinationale E-Corp est clairement désignée comme l’ennemi principal, et la série suivra un petit groupe de pirates tentant de lutter contre son emprise. Au centre des thèmes principaux du show, on trouvera l’isolement ainsi que la santé mentale, qui sont souvent également très présents dans les œuvres issues du mouvement Cyberpunk. D’ailleurs, en tant que hacker, le héros de Mr. Robot Elliot Alderson s’impose clairement comme un des descendants de Case, le héros du Neuromancien de William Gibson. Alors bien sûr, la principale différence se situe dans le fait que le Cyberpunk se déroule traditionnellement dans le futur, et que Mr. Robot prend quant à lui place dans notre présent. Cependant, au fil des saisons, l’univers au cœur duquel nous transporte le show commence de plus en plus à ressembler aux canons du Cyberpunk traditionnel, notamment dans la profusion d’affiches politiques dans le décor ou encore les forces gouvernementales patrouillant dans les rues de New York. Dans le fond, Mr. Robot se poserait presque comme une « origin story » Cyberpunk. Et la force de Sam Esmail est d’ailleurs précisément de placer son histoire dans le présent, dans le sens où il suggère que le monde dystopique high-tech que nous craignons de voir apparaître un jour est peut-être bien déjà là.
Cinéma : des choix inattendus
Vient ensuite le chapitre suivant, « Le Cyberpunk au cinéma » (38 pages), qui nous dressera un petit retour sur les films les plus emblématiques du genre : Johnny Mnemonic, Ghost in the shell, Matrix… Bon, tous ceux-là, on les connaît. C’est donc finalement sans aucun doute dans leurs choix les plus inattendus, originaux et/ou discutables que Stéphanie Chaptal, Jean Zeid et Sylvain Nawrocki parviendront ici à marquer des points. En effet, s’il ne nous serait jamais venu à l’idée d’intégrer des films tels que War games ou Une créature de rêve au genre Cyberpunk, la façon dont les auteurs défendent et justifient leurs choix est le plus souvent très intéressante, et tout à fait pertinente, même si, dans l’absolu, elle ne répond pas non plus aux « trois critères » énoncés page 22 leur ayant permis d’écarter Mr. Robot des œuvres analysées dans l’ouvrage. On est cependant très contents de voir certaines excellentes petites séries B figurer dans la liste des films (Upgrade, Code 8, Extinction…). Une « petite » trentaine de films sont abordés au fil de ces pages.
Jeux de rôle, jeux vidéo, musique
On continuera ensuite avec « Le Cyberpunk dans le jeu » (36 pages), qui nous proposera un très impressionnant retour sur les différents jeux vidéo / jeux de rôle pouvant être rattachés au genre. On y reviendra sur quelques « hits » bien connus des gamers (Deus Ex, Metal Gear Solid, Mirror’s edge et bien sûr le grandiose Cyberpunk 2077, bientôt disponible), mais également sur des jeux plus obscurs. Environ 25 jeux sont abordés dans le détail ; tous semblent d’ailleurs passionnants, et le néophyte apprendra à coup sûr l’existence de quelques trésors oubliés ou peu connus que l’on aimerait bien pouvoir essayer de nos jours. Le jeu vidéo made in France sera d’ailleurs clairement à l’honneur dans , puisqu’on trouvera également dans ces pages un entretien avec David Cage, fondateur et directeur du studio Quantic Dreams, ainsi que des entretiens avec Paul Cuisset, concepteur de jeux vidéo, ainsi qu’avec Jehanne Rousseau, cofondatrice et directrice du studio Spiders. Plus anecdotique, le dernier chapitre « La bande-son du Cyberpunk » (20 pages) reviendra sur le Cyberpunk dans la musique : bandes-originales, Billy Idol, David Bowie, Nine Inch Nails… Il ne s’agit assurément pas du chapitre le plus convaincant de Cyberpunk : Histoire(s) d’un futur imminent, mais on reconnaît aux auteurs la volonté d’avoir tenté d’être réellement exhaustifs.
Ouvrir vers l’avenir
Cette volonté se retrouvera d’ailleurs dans le dernier chapitre du bouquin, consacré à « L’avenir du Cyberpunk » (12 pages) et revenant sur certains éléments non évoqués jusqu’ici : l’après-Cyberpunk dans la littérature, l’émergence des cryptomonnaies, la mainmise contemporaine d’une poignée de corporations contrôlant tous les éléments liés à la vie privée des utilisateurs ou encore les dérivés du Cyberpunk, tels que le Steampunk, qui mériterait d’ailleurs un ouvrage à lui tout seul.
Pour les lecteurs les plus pressés, on notera chaque œuvre abordée dans le livre sera résumée dans une espèce de courte fiche de lecture reprenant ses caractéristiques principales, et intitulée « La Cyberpunk Atttitude ». De la belle ouvrage donc : on applaudit à deux mains Stéphanie Chaptal, Jean Zeid et Sylvain Nawrocki.
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