Le résultat ne s’est pas fait attendre: vidéos de joueurs accompagnées de torrents d’insultes et de moqueries sur les réseaux sociaux, retour à l’envoyeur de nombreux jeux précommandés, auxquels se sont ajoutés - comme si c’était nécessaire - des crises d’épilepsie provoquées par des problèmes de scintillements lumineux, une polémique sur des blagues jugées sexistes et transphobes, et en conséquence de tout cela un krach boursier pour le studio CD Projekt Red (côté en bourse) avec une perte de deux milliards de valorisation en 48h.

JEUX VIDÉO – Le nouveau jeu du studio polonais CD Projekt Red était le plus attendu de l’année. Son lancement le 10 décembre a pourtant constitué une catastrophe industrielle, le jeu fourmillant de bugs et de problèmes, malgré un univers fascinant.

Le crash a été aussi spectaculaire que le jeu était attendu. Le buzz était en effet savamment entretenu depuis des années: CD Projekt Red, studio en pleine ascension depuis “The Witcher III” (2015), développait depuis 2012 en parallèle de cet énorme succès “Cyberpunk 2077″, un titre attendu comme le messie à l’issue d’une production de huit ans. L’excitation n’avait cessé de monter crescendo, pour de multiples raisons: l’adaptation officielle d’un jeu de rôle culte des années 1990, la participation surprise de Keanu Reeves au casting, des partenariats avec plusieurs marques de voiture laissant espérer un monde ouvert rivalisant avec “Gran Theft Auto V”, et bien sûr la réussite artistique hors du commun que fut “The Witcher III”, indépassable dans son genre cinq ans après sa sortie. “Cyberpunk 2077” était sans conteste le titre le plus attendu de ces dernières années: huit millions de joueurs l’avaient même déjà précommandé…

2020: annus horribilis

Et puis patatras: pour le studio CD Projekt Red, l’année 2020 n’a pas usurpé sa réputation d’annus horribilis, avec des catastrophes en série. Après deux premiers reports, dont un de huit mois, un nouveau retard annoncé cet automne dans la dernière ligne droite a laissé craindre des problèmes de développement, confirmés par les retours des premiers testeurs à qui le studio avait pourtant confié des PC surpuissants avec le jeu préinstallé. Signal inquiétant: aucun n’avait eu la possibilité de tester en amont de la sortie une version du jeu sur consoles, pour laquelle les premiers retours d’expérience ont confirmé la catastrophe.

Alors que “Cyberpunk 2077” ne sort même pas dans une version optimisée pour la nouvelle génération de machines (ce sera au mieux dans plusieurs mois), il se révèle pourtant très fortement dégradé sur PlayStation 4 et Xbox One: le site Digital Foundry a ainsi démontré que sur ces machines, le jeu ne tourne pas en haute définition, que le framerate tombe à 15 images par seconde sur les séquences les plus gourmandes (un chiffre dérisoire au regard des standards actuels), tout en affichant une ville vidée de ses voitures et de ses habitants alors que les bandes-annonces montraient une mégalopole grouillante (en effet visible sur les PC les plus puissants). Le résultat ne s’est pas fait attendre: vidéos de joueurs accompagnées de torrents d’insultes et de moqueries sur les réseaux sociaux, retour à l’envoyeur de nombreux jeux précommandés, auxquels se sont ajoutés -comme si c’était nécessaire- des crises d’épilepsie provoquées par des problèmes de scintillements lumineux, une polémique sur des blagues jugées sexistes et transphobes, et en conséquence de tout cela un krach boursier pour le studio CD Projekt Red (côté en bourse) avec une perte de deux milliards de valorisation en 48 h.

Enthousiasme vite douché

Difficile de juger sereinement un jeu si attendu dans un tel contexte et de s’interdire tout préjugé. Pourtant mon enthousiasme, réel au moment d’installer le jeu la veille de sa sortie, est vite douché. Il me faut relancer la console parfois plusieurs fois par heure, à cause de bugs nombreux et en tous genres. L’expérience est si catastrophique que plus d’une fois, j’ai été tenté d’abandonner “Cyberpunk 2077” en cours de route et de renoncer à ce billet. Mais je me suis accroché, malgré les crashs de la console, les parties non sauvegardées à recommencer, et les bugs de scripts en cours de jeu empêchant d’avancer et obligeant à relancer les missions. Si ces événements m’ont souvent énervé, d’autres bugs d’affichage ou de collision, très nombreux, ont plutôt provoqué chez moi l’hilarité devant l’impression d’amateurisme ahurissante pour un jeu si attendu. Le site Kotaku a révélé l’un d’eux, qui fait dépasser le pénis du pantalon de certains avatars, ce qui laisse imaginer le niveau d’absurdité qu’ont rapidement atteint les discussions sur les réseaux sociaux.

Le week-end suivant la sortie du jeu, une mise à jour importante a réduit la plupart des bugs bloquants et ma console a cessé de crasher, même si les problèmes d’affichage sont par ailleurs restés très nombreux. Gageons que tous seront patchés un jour, mais cela prendra peut-être des mois. Essayons d’en faire abstraction et d’imaginer ce que sera l’expérience pour ceux qui le découvriront l’année prochaine (car de toute évidence, le jeu qui est vendu n’est pas fini). Sur un aspect plus positif, ce qui enthousiasme dans “Cyberpunk 2077”, c’est la ville de Night City, qui en est le personnage principal. Sur les dernières consoles ou sur un gros PC (au risque de se répéter, ce n’est pas le cas sur les autres machines), elle est magnifique. Électrique, grouillante, scintillante, elle ressemble à une excroissance futuriste du quartier Akihabara de Tokyo mélangé à la ville du film “Blade Runner”. J’ai apprécié m’y perdre, y conduire voitures et motos et explorer les quartiers sillonnés par les gangs.

L’histoire du jeu est un peu plus problématique. Difficile de s’y intéresser avant le début de l’acte 2 (problème: il y en a seulement trois) tant les premières heures ressemblent à un tutoriel fastidieux. Avec l’apparition du personnage joué par Keanu Reeves, les enjeux de l’histoire deviennent alors compréhensibles, mais il est déjà un peu tard. Sur l’ambition globale, on espérait un monde ouvert gigantesque, une aventure très personnalisée selon les choix du joueur et une histoire longue d’une centaine d’heures, à l’image de “The Witcher III” ou des jeux récents en monde ouvert comme” Assassin’s Creed Valhalla”. Sur ces trois points, la déception est énorme. L’aventure principale, riche d’une trentaine de missions, dure une vingtaine d’heures, qui sont très semblables pour tout le monde, et la map est bien moins importante que celles de nombreux jeux contemporains. Alors que “Cyberpunk 2077” s’ouvre sur un choix à faire sur l’origine du personnage joué, on s’attend à ce que trois aventures bien différentes s’offrent à nous. En réalité, les impacts du choix au-delà des premières minutes d’introduction sont anodins, et cette promesse mise en avant dans la promotion du jeu ressemble à une arnaque.

Une histoire décevante

“The Witcher III” avait séduit en raison du nombre et de la qualité des quêtes secondaires, qui rendaient l’expérience de chaque joueur unique au rythme de ses pérégrinations. Cette qualité-là ne se retrouve hélas pas dans “Cyberpunk 2077″, qui vaut surtout pour son aventure principale, qui est elle-même… décevante. L’écriture trop convenue emballe rarement, et paraît parfois même inspirée de “Gran Theft Auto”, mais sans le génie propre à cette série. Les choix opérés par le joueur dans les conversations semblent la plupart du temps factices, car ils ont rarement un impact sur un scénario qui avance en couloir. De longs tunnels de dialogues ralentissent trop souvent l’aventure, tout en étant nécessaires pour déclencher les nouvelles missions. L’ennui de ces séquences pourrait être contrebalancé par le gameplay, mais celui-ci n’est pas plus ambitieux. Vendu comme un RPG (jeu de rôle), “Cyberpunk” en adopte bien les mécaniques (évolution du personnage, des armes…), mais sans que cela soit un enjeu puisque les compétences acquises ne sont jamais indispensables à la progression. Il se veut aussi un FPS (jeu de tir), mais cette dimension-là est plombée par une difficulté qui semble aléatoire selon les missions, et par l’intelligence artificielle déficiente des ennemis, parfois inactifs lorsqu’on se trouve bien visible, à quelques centimètres d’eux… Quant à la conduite des véhicules, elle est loin d’offrir le même plaisir que par exemple un “Gran Theft Auto” ou le récent “Watch Dogs Legion”. Dans chacune de ses dimensions, “Cyberpunk 2077” fait moins bien que ses concurrents.

Mais le plaisir est bien présent

Les heures passant, le plaisir arrive pourtant, par petites vagues. Quelques belles séquences, quelques missions réveillent un potentiel endormi, sans jamais toutefois donner l’impression d’avoir affaire à un jeu exceptionnel. Il y avait tant à faire pourtant dans ce genre sous-exploité qui lui donne son titre, et a produit autrefois des œuvres majeures de la science-fiction: le roman “Neuromancien” de William Gibson, le film “Matrix” des Wachoswki ou l’animé “Ghost In the Shell” de Mamoru Oshii. Peut-être que l’espoir que ce “Cyberpunk 2077″ propose une œuvre aussi importante que celles-ci pour le medium jeu vidéo était trop fort. Hélas, l’univers cyberpunk utilisé ailleurs à des fins politiques ou philosophiques est ici utilisé de façon cosmétique. Il n’y a pas dans “Cyberpunk 2077” de réflexion sur notre société, pas de dimension politique saillante ni de discours suffisamment construit pour que le jeu, par ailleurs bancal, enthousiasme. Lundi 14 décembre, cinq jours seulement après sa sortie, CD Projekt Red a présenté ses excuses aux joueurs et annoncé un programme de remboursement, tout en disant espérer “mettre fin aux principaux problèmes” en février 2021. Terrible aveu… Pour le studio polonais, le cauchemar continue.

À voir également sur Le HuffPost: Keanu Reeves fait le show pour “Cyberpunk”

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