“Réveille-toi.” La dernière scène de Matrix (1999) se concluait sur les vociférantes exportations du groupe Rage Against The Machine et de leur titre Wake up. Cette injonction en re-, dans laquelle baigne toute la saga (Reloaded, Revolutions, Resurrections), convoque l’idée d’un renouveau qui résonne avec le passage imminent du XXe au XXe siècle.
Matrix produit un effet de sidération qui clôt le siècle qui s’achève et nous projette dans celui qui s’ouvre. Accompagnant la popularisation d’internet dans les ménages et l’euphorie entourant le gonflement de la bulle technologique, il déclenche un raz-de-marée de commentaires sur le web. Plus que tout autre film avant lui, Matrix a provoqué un appel d’air dans lequel tout semble pouvoir être aspiré.
C’est que pour réaliser ce film de science-fiction sans pareil, les Wachowski ont armé leur projet d’une foule de références, de thématiques, d’innovations et d’idées. Philosophie, religion, racisme, littérature, science, capitalisme, politique, mythes, pop culture, mais aussi expériences psychotropes, mangas, mode steampunk et effets spéciaux novateurs : la déflagration du logiciel Matrix embrase tout.
Et si les films ont entraîné une telle quantité de commentaires, c’est aussi que ce logiciel avait la particularité d’être ouvert, comme si chaque spectateur avait le pouvoir d’en prolonger les lignes de code. Pour comprendre le choc sismique généré par Matrix, il faut commencer par son foyer originel.
Il y avait déjà du Matrix dans Bound
À première vue, rien ne prédisposait Lana et Lilly Wachowski (assignées hommes à la naissance avant d’effectuer une transition de genre, en 2012 pour Lana, en 2016 pour Lilly) à signer pour leur deuxième film seulement une œuvre aussi révolutionnaire. Après avoir coécrit le scénario d’Assassins de Richard Donner (1995), expérience traumatisante dans la mesure où il fut complètement réécrit, à tel point qu’elles demandèrent sans succès que leur nom soit retiré du générique, Dino De Laurentiis, légendaire producteur qui n’avait pas froid aux yeux (on lui doit notamment le Dune de Lynch), finance leur premier film, Bound (1996). Se déroulant dans un quasi huis clos, il raconte la façon dont deux femmes éprises l’une de l’autre vont escroquer une bande de truands.
À priori, on est à mille lieues de la SF avant-gardiste et dispendieuse de Matrix… et pourtant. S’ouvrant sur un plan où une caméra tournoie doucement dans un espace domestique, au son d’une musique qui préfigure celle de Matrix (elle est composée, comme celle des trois films suivants, par Don Davis), le film se conclut sur des lignes de dialogues sibyllines. “You made a choice? What choice? I want out”, entend-on avant de découvrir le corps ligoté d’une des héroïnes lesbiennes du film.
Dans ce thriller néo-noir aux accents BDSM opposant deux femmes toutes de cuir vêtues à des mafieux en costumes, il est déjà question d’un choix crucial et d’une libération. Entre Bound et Matrix, les termes de l’outing se sont simplement déplacés. Il ne s’agit plus de se libérer du patriarcat et de l’hétérosexualité, mais de la matrice fabriquée par les machines.
Si ce film à petit budget (6 millions de dollars) est à peine rentable (7 millions de dollars de recettes), il jouit d’un petit succès critique et affirme surtout une patte stylistique faite de mouvements de caméras amples et inventifs (ce plan où la caméra suit le câble électrique qui relie deux téléphones) et d’une obsession idéologique : comment briser les liens qui nous contraignent.
Un succès colossal
À l’origine, le scénario de Matrix devait être adapté en bande dessinée. Les Wachowski, dont le premier emploi avait été d’écrire des comics Marvel, avaient même approché des dessinateurs dont le travail servit à convaincre la Warner d’investir les 63 millions de dollars que les sœurs demandaient.
Plusieurs acteur·ices sont envisagé.es pour les rôles de Neo (Will Smith, Brad Pitt, Nicolas Cage, Leonardo DiCaprio, Johnny Depp et même Sandra Bullock), Trinity (Janet Jackson, Salma Hayek), l’agent Smith (Jean Reno !) et Morpheus (Val Kilmer, Gary Oldman, Samuel L. Jackson), avant que le choix ne s’arrête sur le quatuor formé par Keanu Reeves, Carrie-Anne Moss, alors quasi inconnue, Hugo Weaving et Laurence Fishburne.
Pour les séquences de combat, les Wachowski recrutent l’expert en arts martiaux Yuen Woo-ping (chorégraphe des films de Tsui Hark puis de Tigre et Dragon et Kill Bill), qui sera aussi responsable de l’entraînement intensif que suivront les acteur·ices. En moins de trois mois, le tournage est achevé dans les studios de la Fox à Sydney et commence alors une longue phase de post-production.
Sorti fin mars 1999 aux États-Unis et le 23 juin 1999 en France, Matrix est un succès immense, bien qu’il ne se positionne qu’en cinquième position du box-office américain cette année-là (Star Wars : La Menace fantôme le devance largement). Il rapporte 463 millions de dollars de recettes dans le monde et réalise 4,7 millions d’entrées en France. Aux Oscars, il n’est nommé que dans quatre catégories techniques mais les remporte toutes.
Les Wachowski peuvent se réjouir ; elles voient le budget des deux films suivants plus que doubler (150 millions de dollars chacun). Si le second opus, Reloaded (2003), fait mieux que le premier (739 millions de recettes dans le monde), le troisième, Revolutions, sorti à six mois d’intervalles, est juste en dessous du premier (427 millions), signe d’un essoufflement de la matrixmania et de critiques beaucoup plus mitigées que sur le volet inaugural. `
Il y a un avant et un après Matrix
Après cette trilogie devenue culte, à laquelle on ne doit pas oublier de joindre Animatrix (2003), les neuf court-métrages d’animation pilotés et en partie réalisés par les Wachowski, les sœurs signent le scénario de V pour Vendetta de James McTeigue (2006) avant de revenir à la réalisation avec Speed Racer (2008), Cloud Atlas (2012) et enfin Jupiter Ascending (2015), trois blockbusters de SF inégaux, aussi biscornus que fascinants, suivis par une série pour Netflix, Sense8 (2015-2018).
Si on retrouve dans ces différentes œuvres des motifs de Matrix, le sillon creusé par Lana et Lilly ne leur a plus permis de faire sortir de terre une création aussi fédératrice. Car il y a un avant et un après Matrix dans l’histoire du cinéma.
Bien entendu, la trilogie des Wachowski n’est pas le premier récit à faire vaciller la réalité. Les deux cinéastes revendiquent d’ailleurs l’influence d’un certain nombre de films, en premier lieu le manga animé Ghost in the Shell de Mamoru Oshii (1995). Elles ont d’ailleurs expliqué à leur producteur que Matrix serait une sorte de déclinaison en prises de vue réelles de cet anime japonais.
Mais on retrouve aussi la généalogie de Matrix dans d’autres films : Metropolis de Fritz Lang pour le plus ancien (1927), Le Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939), 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) Le Monde sur le fil de Rainer Werner Fassbinder (1973), Strange Days de Kathryn Bigelow (1995) ou encore The Truman Show de Peter Weir (1998). La différence est que Matrix pousse l’idée de la simulation du réel à un degré de plasticité jamais atteint, en partie grâce à de nouveaux outils de mise en scène.
Bullet time !
Outre l’invention de ce code vert et de cette réalité qui se trouble en ondes circulaires, l’extase esthétique que constituent les effets spéciaux de Matrix vient en partie de la technique du bullet time, lointaine descendante des pratiques d’Eadweard Muybridge. Inventée par Michel Carlier en 1995 mais jusque-là peu utilisée, elle consiste en un effet de caméra mobile obtenu grâce à une série d’appareils photo disposés en cercle autour d’un sujet en mouvement. Le bullet time permet ainsi de découper un mouvement rapide sur plusieurs angles et au ralenti. Elle donne à Matrix l’un de ses moments iconiques : ce plan où Neo esquive les balles d’un agent alors que la caméra tournoie autour de lui.
Matrix, machine philosophique
Pourtant, ces aspects esthétiques ne peuvent pas à eux seuls justifier le statut de film pivot entre le XXe et le XXIe siècle de Matrix. D’autant qu’il laisse de marbre certain·es critiques de cinéma. Élie During, coauteur de l’essai Matrix, machine philosophique (Ellipses, 2003) que nous avons contacté, se souvient : “Au moment de la sortie de notre livre, on était passé dans une émission sur France Culture. Michel Ciment était présent et il ne comprenait pas comment on pouvait à ce point s’exciter sur cet objet. Il ne trouvait pas que c’était un bon film de cinéma. J’avais beaucoup de mal à lui faire comprendre que Matrix était tellement central dans le paysage culturel qu’il irradiait à tous les niveaux, y compris la philosophie.
Matrix fonctionne comme un mythe au sens de Lévi-Strauss, c’est-à-dire un carrefour de sens où des tas de lignes de code ou de registre culturel interagissent de façon souple et sans apporter de résolution. À l’image du fameux code vert de la matrice, ce sont des codes qui glissent les uns sur les autres, qui se transforment et qui introduisent un appel de sens au lieu de proposer un message. Matrix fonctionne tous azimuts, sur plein de niveaux en même temps, et cela produit une agitation du sens doublée d’une interpellation philosophique. On ne peut s’empêcher de se brancher sur l’une des nombreuses prises de la machine Matrix.”
Reste à écarter le film qui pourrait disputer à Matrix ce statut de film pivot. Sorti deux ans plus tard, Mulholland Drive de Lynch se situe symétriquement de l’autre côté du miroir qui sépare les siècles. Nous avons demandé à Élie During comment il envisageait ce face à face : “Il y a une interface entre les deux films, qui est la question du vacillement des apparences et de l’inconsistance du réel. Mais chez Lynch, la texture de la réalité est à mon avis encore plus étrange que celle de Matrix. Et cependant, Mulholland Drive est aussi plus lisse pour moi, parce que la remise en cause du réel est le résultat d’un délire pathologique, tandis que dans le film des Wachowski, celui qui met en doute le réel est dans le vrai. Et puis Matrix est plus bricolé, plus complexe et plus naïf, au sens du Facteur Cheval.”
Bienvenue dans le désert du réel
Patchwork de films, Matrix est donc aussi un merveilleux amas de concepts philosophiques. Dès son lancement, il fait sortir les philosophes du bois. En premier lieu Slavoj Žižek dans son long texte critique Matrix, or the two sides of perversion. En citant délibérément Simulacres et Simulation de Jean Baudrillard (1981) à deux reprises dans le film (c’est à l’intérieur du faux exemplaire du livre du philosophe français que Neo cache ses disquettes pirates, et Morpheus renvoie aussi directement à ses théories lorsqu’il accueille Neo dans “le désert du réel”), les Wachowski devaient s’y attendre.
Elles avaient même demandé aux acteur·ices principaux·ales de lire Simulacres et Simulation pour préparer le tournage. Mais ce n’est pas le seul philosophe cité dans le film. On pense également à la caverne de Platon et au Malin génie de Descartes, et certains y voient des références à Kant ou à Hegel. Les Wachowski ont même voulu que les philosophes interviennent dans la fabrication des films. Elles proposèrent à Baudrillard et à Cornel West, philosophe américain spécialiste du racisme, du genre et des classes sociales aux États-Unis, de participer au scénario de Reloaded et de Revolutions. Si le premier a décliné l’offre, le second l’a acceptée et a même réalisé un petit caméo dans les films (il joue l’un des membres du conseil de Zion).
Pour Élie During, si Matrix est le premier blockbuster philosophique de l’histoire du cinéma, c’est parce que “contrairement à des films qui avaient une dimension métaphysique, comme 2001, l’Odyssée de l’espace ou Stalker, il aborde ses questionnements philosophiques de façon très immédiate. Cette manière quasi didactique de mettre en scène, dans un blockbuster, des idées philosophiques nous avait frappé·es. C’était comme si on avait convoqué des millions de spectateurs à un grand cours de philo”.
La nouveauté vient également du mode de propagation de la pensée qui entoure les films : “Matrix est sans doute la première œuvre de pop culture dont le savoir a été produit en ligne. D’autres films ont déclenché une activité herméneutique échevelée mais avec Matrix, c’était le médium qui changeait. Ce qui m’a marqué, c’est l’hétérogénéité des commentateur·ices. Cela allait des critiques de film aux philosophes en passant par des lycéen·nes, des adeptes de la culture cyberpunk ou des anticapitalistes.”
Le syncrétisme ultime
Car Matrix ne convoque pas que des concepts philosophiques. Syncrétisme ultime, il recycle bons nombre de croyances, de récits mythologiques et d’éléments de la pop culture. La religion est évidemment très présente. Si Neo est une figure éminemment christique, l’agent Smith a tout de l’antéchrist. Plusieurs noms propres renvoient aussi à la Bible : Zion (Sion), Trinity (la Sainte Trinité), Apoc (Apocalypse), le vaisseau baptisé Nabuchodonosor (du nom du roi de Babylone dans le Livre de Daniel).
On peut aussi voir dans la relation corps et esprit, la notion d’éveil libérant des contingences du réel, ou plus prosaïquement dans la tenue de bouddhiste que porte le garçon qui enseigne à Neo que “ce n’est pas la cuillère qui bouge” mais son reflet, des allégeances assumées au bouddhisme. Enfin, si on y trouve des références à des monuments de la littérature SF (les incontournables Philip K. Dick et George Orwell) et à Alice au pays des merveilles (“Suis le Lapin Blanc”), Matrix reprend aussi de façon plus cryptée des figures mythologiques de la Grèce antique : Orphée, Perséphone, Œdipe aveugle, Morphée ou Ulysse.
Matrix est aussi une saga pleinement inscrite dans les questionnements politiques de son temps. “Après la chute du mur de Berlin et l’avènement universel de la démocratie, il y a eu à la fin des années 1990 et au début des années 2000 un troisième moment où commençaient à proliférer des luttes émancipatrices qui ne correspondaient ni à des grands projets utopiques, ni à l’idéal de démocratie universel occidental. Ce qui m’avait impressionné dans Matrix, c’était la ligne gnostique du film, c’est à dire partir du postulat que la vérité est ailleurs, que nous n’appartenons pas à ce monde. Cela résonnait avec un état de la société, un sentiment diffus de rébellion menée par des mouvements qui voulaient faire sécession, pas seulement avec le capitalisme mais aussi avec une façon d’organiser le commun”, analyse Élie During.
Éloge de la désobéissance
Matrix épouse ses luttes en s’intéressant à des dissidents vivant à la marge et dans une forme de contre-culture (notamment les cultures steampunk et club façon Berghain sous mescaline). Qu’ils évoluent dans la Matrice à travers la figure du pirate informatique ou dans les bas-fonds du réel avec la bande de renégats constituée autour de Morpheus, les personnages wachowskiens sont des êtres désobéissants.
Bien qu’il soit possible d’appliquer à Matrix une grille de lecture anticapitaliste (le refus d’être un consommateur consommé par un capital fascisant), le film se place aussi clairement du côté des personnes racisées. Tous les méchants y sont des hommes blancs renvoyant des signes ostensibles de richesse, tandis que le peuple de Zion est au contraire singularisé par sa diversité et son dénuement.
Alors qu’attendre d’un quatrième volet dans de telles conditions ? Matrix Resurrections peut-il être un nouveau game changer, malgré la défection de Lilly, qui a préféré prendre le temps de se remettre de sa transition et de la mort de ses parents, plutôt que de replonger le nez dans une saga selon elle achevée ?
Pour Élie During, le quatrième volet devra déjà faire face à un rapport humain-machine qui a évolué en plus de vingt ans : “Avec Matrix, on réalisait un fantasme transhumaniste qui est sans doute aujourd’hui dépassé. Si la technologie a bel et bien connu l’essor annoncé, elle l’a fait de façon beaucoup plus insidieuse, avec les procédés de deep learning de la seconde vague de l’IA. L’imaginaire du robot qui développe une conscience et se mesure à l’humain a été remplacé par celui de la machine auto-apprenante qui mouline du big data toute la journée.
Vu d’aujourd’hui, cette lutte semble moins évidente. Si les machines utilisent les humains comme source d’énergie, le présupposé d’un affrontement entre l’humain et la machine était déjà l’une des faiblesses du film d’un point de vue narratif. Et pourtant, ce n’est pas anodin que le retour de Matrix coïncide avec cette pandémie durant laquelle tout le monde vit à divers niveaux une perte de contact avec le réel. Ce sentiment de déréalisation, au sens quasi clinique du terme, est à bien des égards au cœur de Matrix. Mais j’espère que Matrix ne va pas résonner trop littéralement avec l’air du temps, au sens où, ce qu’on sera en droit d’attendre, c’est une torsion supplémentaire, l’invention d’autres rapports au réel, de modes de déconnexion productive.”
Un quatrième opus entre transidentité et psychanalyse
Dans quels replis de la matrice Matrix version 2021 pourrait-il aller chercher cette “torsion supplémentaire”, déchirer un voile de plus sur le réel, à l’aune du metaverse de Zuckerberg ? Avant de découvrir le film, on pariait sur un quatrième volet centré autour de la transidentité.
À posteriori, les sœurs se sont d’ailleurs montrées sensibles à l’interprétation de leur saga comme la prémonition de leur transition de genre, la pilule rouge symbolisant les cachets d’œstrogènes et la description de Morpheus d’un monde “où quelque chose sonne faux” faisant écho à la dysphorie de genre. Car jusque-là Matrix ne comportait aucun personnage LGBTQI+, même si, dans le scénario originel, Switch devait être une femme dans la matrice et un homme dans le monde réel.
On imaginait bien ce Resurrections prophétisé par l’Oracle dans l’épilogue de Revolutions (à la question “Reverrons-nous Neo ?”, elle répond : “J’en ai l’intuition, un jour…”), infusé dans les théories sur le genre de personnalités comme bell hooks, Haraway et son cyborg, ou pourquoi pas Preciado et son concept de “pharmacopornographie”. Même si le premier couple non hétéro de la saga y apparaît timidement, que les deux nouveaux méchants du film sont incarnés par deux acteurs ouvertement homosexuels et qu’il est vaguement question de binarité, ce quatrième volet démarre plutôt sur un champ étrangement peu exploré par les trois premiers volets : celui de la psychanalyse.
On retrouve Neo en patron dépressif d’une entreprise de jeu vidéo, dont la vie est rythmée par ses hallucinations et ses rendez-vous avec un analyste qui tente de lui faire accepter l’unique réalité dans laquelle il vit. Ce come-back dans la matrice est un détour qui permet à Lana de déployer une métadonnée nouvelle, à savoir que Neo serait un alter-ego de la cinéaste essorée par le succès de sa franchise et incapable d’accepter la platitude d’un réel monolithique.
Passé ce premier tiers réflexif et par moments assez bouleversant, le matrice se déchire à nouveau vers le réel, le vrai, pour plonger dans une intrigue faite de retrouvailles aux accents vermeil, qui remet surtout en cause le statut de Neo comme seul Élu au profit de Trinity.
Toujours le même thème, tandem
Ce renversement, qui entrouvre la porte à un cinquième opus, est la plus belle idée du film. Quand l’Élu des sœurs était unique, celui de Lana devient pluriel. Comme si la disparition de ce duo de cinéastes, cette perte avec laquelle Lana a dû composer, métamorphosait la figure héroïque qu’elles ont créée en tandem. Comme si au moment où la paire Lana-Lilly s’était scindée en deux, l’Élu de leur saga avait dû faire de même. Une façon pour Lana de commémorer la puissance du tandem au moment même où il n’est plus, une manière aussi d’en prolonger l’existence en lui faisant traverser le miroir qui sépare les architectes de leur œuvre. Matrix n’en est pas à une réflexion près.